WCCW STAR WARS : THE FRITZ VON ERICH RETIREMENT SPECTACULAR #2
19/06/1982
Juin 1982, Sylvester Stallone ajoute une corde à son arc en incarnant John Rambo, soldat brisé par le Vietnam en quête d’apaisement, errant sur les routes de l’Oregon à la manière d’un Jack Kerouac. En parallèle à cela, le mythique interprète de Rocky Balboa remontait sur les rings pour la troisième fois consécutive et affrontait l’imposant Thunderlips, rôle tenu par un certain Hulk Hogan, toujours du côté de l’AWA de Verne Gagne. 1982 est également une année charnière pour plusieurs grands réalisateurs hollywoodiens. Ridley Scott passe a la postérité avec l’intemporel Blade Runner, Steven Spielberg donne naissance au mythique E.T : L’Extraterrestre tandis que John Carpenter signe le chef d’œuvre de sa carrière avec The Thing.
Nous sommes le 4 juin 1982. Le ciel est dégagé, pas un nuage en vue du côté de la petite ville d’Irving au Texas. Promoteur de catch de la région, le légendaire Fritz Von Erich, Jack Adkisson de son vrai nom, a choisi de tirer le rideau sur son illustre carrière. Pour l’occasion, la World Class Championship Wrestling organisait cet événement, intitulé The Fritz Von Erich Retirement Spectacular, un gala de catch qui eut lieu sur la pelouse du Texas Stadium, maison mère des Dallas Cowboys. Sur les 65,000 places de ce stade, seulement 6,800 ont été vendues, un chiffre plutôt faible, surtout si on le compare aux précédentes éditions de 1972 et 1976.
– Bill Mercer, légendaire commentateur et ring announcer de la WCCW, effectue ce soir sa première apparition télévisée et nous présente ce programme inédit en compagnie de Jay Saldi, un ancien joueur des Dallas Cowboys. Sur ce ring, dressé sur la pelouse du terrain, un certain Marc Lowrance s’occupe des présentations. Aux abords du ring, des techniciens s’affairent encore et tirent des câbles.
MATCH 1 : NWA WORLD LIGHT HEAVYWEIGHT TITLE MATCH : RENE GUAJARDO © VS EL SOLITARIO (10:06)
VAINQUEUR : EL SOLITARIO
PRISE DE FINITION : HURRICANRANA
INDICATEUR : ** ¼
Rene Guajardo a commencé dans la Lucha Libre à l’âge de 16 ans. C’était en 1954, et le jeune Luchador a été très rapidement repéré par la EMLL. Débutant en tant que « technico », il est passé en « rudo » et est devenu l’un des vilains les plus haïs de la promotion. En 1967, il terrasse le légendaire El Santo et remporte le Mexican National Middleweight Championship, sa plus prestigieuse victoire. En 1975, Guajardo devient le Champion inaugural de la UWA, la Universal Wrestling Association. Aujourd’hui Light Heavyweight Champion de la NWA, il remet son titre en jeu contre El Solitario. Ce dernier s’est lancé dans le catch après la mort de son frère sur un ring de catch. S’inspirant du personnage du « Lone Ranger » jusque dans son nom, Solitario a effectué ses débuts en 1966. Ces Luchadors se sont déjà rencontrés dans ce qu’on appelle « Lucha de Apuesta », matches dont les enjeux sont capitaux. Le 25 décembre 1968, Solitario conservait son masque, mais Guajardo perdait sa tignasse. Ils croisent une nouvelle fois le fer sur le ring de la WCCW.
Autrefois rivaux, ils s’adressent aujourd’hui un respect mutuel, en témoigne cette franche poignée de main en début de match. Au risque de s’y méprendre, il s’agit d’un affrontement purement technique. On a bien-sûr droit à quelques pirouettes et acrobaties propres à la Lucha Libre, mais à chaque fois que les choses s’emballent enfin, une marque de respect coupe le rythme de la rencontre. Et c’est bien dommage, parce que ce qu’ils nous montrent sur le ring, que ce soit en Lucha Libre comme en lutte gréco-romaine, c’est franchement sympathique. Le combat s’accélère et, à l’issue d’une jolie séquence, El Solitario s’élance tel un missile pour un Tope Suicida sur Guajardo, alors en dehors du ring. À date, c’est bel et bien le premier Suicide Dive auquel j’ai pu assister. De retour sur le ring, Solitario tire son épingle du jeu et l’emporte grâce à un superbe Hurricanrana – encore une prise rarissime pour cette époque – en arrachant au passage la ceinture de Champion des poids-légers à son vieux rival.
MATCH 2 : MEXICO LADIES TITLE MATCH : LOLA GONZALEZ © VS IRMA GONZALEZ (09:59)
VAINQUEUR : LOLA GONZALEZ
PRISE DE FINITION : POWERBOMB
INDICATEUR : ** ¾
Entraînée par le légendaire Gory Guerrero, la jeune Lola Gonzalez a effectué ses premiers pas dans le catch en 1975. Après un bref passage sur les rings de Gene LeBell, Gonzalez a rapidement rejoint le territoire de Dallas en 1982, spécialement pour cet événement. Elle sera aussi de la partie pour l’édition de 1983. Active jusqu’au milieu des années ’90, elle prit part à de nombreux combats au Japon, au Mexique et aux États-Unis. Sa rivale, elle peut à bien des égards être considérée comme la Fabulous Moolah mexicaine. Vraie pionnière du catch féminin au Mexique, Irma Gonzalez est une légende vivante, et est plus ou moins apparue en même temps que la discipline. Elle est encore aujourd’hui reconnue comme la plus grande Luchadora de l’histoire de ce sport-spectacle. Multiples championnes de la UWA et de la WWA, ces deux femmes se sont déjà affrontées à de nombreuses reprises.
On commence par quelques phases au sol. Lola surprend sa rivale avec un Camel Clutch redoutable. Cette dernière harangue le public et joue son rôle de heel à fond. Malgré tout le prestige de son curriculum vitae, on se rend assez vite compte qu’Irma n’est plus dans la fleur de l’âge et c’est bien Lola qui lui vole la vedette. Ce match est extrêmement intéressant car il nous montre quelque chose de différent. On observe en effet chez ces dames une autre façon de lutter, mais aussi de chercher le public, d’autres types d’invectives, mais qui fonctionnent tout autant. Le combat se poursuit en dehors du ring et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles n’ont pas froid aux yeux. Dire que que c’est du bon catch serait un euphémisme. Il faut bien se rendre compte que nous sommes en 1982 et que ce niveau de catch féminin est tout simplement stratosphérique par rapport à ce qui se fait ailleurs, du moins aux États-Unis. Et les derniers échanges ne nous font pas mentir, bien au contraire. Irma part alors pour un Hurricanrana, mais Lola la bloque en l’air et l’abat en Powerbomb, une incroyable manœuvre encore une fois ! Elle la recouvre et l’emporte au compte de trois, conservant son titred dans la foulée. Visionnage enrichissant.
MATCH 3 : NO-DISQUALIFICATION MATCH : KERRY VON ERICH VS HARLEY RACE (15:26)
VAINQUEUR : KERRY VON ERICH
PRISE DE FINITION : CROSSBODY COUNTERED
INDICATEUR : **** ½
1982, c’est l’émergence du spécimen Kerry Von Erich. Son physique de dieu grec, couplé à ses capacités athlétiques hallucinantes, ainsi qu’a son impressionnante science des rings, lui a permis de s’imposer comme le prochain aspirant au titre de Champion du monde de la National Wrestling Alliance. Kerry vole la vedette à tout le monde, y compris à ses grands frères David et Kevin. Toutefois, pour obtenir le droit d’affronter le « Nature Boy » Ric Flair, Kerry doit ce soir vaincre une figure qui incarne mieux que personne cette ceinture ô combien prestigieuse. Et qui meilleur homme pour endosser ce rôle que le vétéran Harley Race, six fois Champion du monde et l’un des meilleurs catcheurs au monde. Arrivé de Saint-Louis exprès pour l’occasion, Race représente le plus gros défi de la jeune carrière du troisième fils Von Erich.
Il y a une tension à couper au couteau dans l’air de cette chaude soirée de juin. Au terme d’une intense phase d’observations, Kerry donne le ton avec un superbe saut chassé. Race prend l’avantage et pilonne Kerry avec une vicieuse descente du genou. Voyant Race retomber en Falling Headbutt, Kerry n’a qu’a lever le bras pour l’accueillir avec sa célèbre Iron Claw ! L’étau se resserre, le public est en délire et Harley Race semble déjà en perdition. Sans règles, mais avec un décompte de vingt, le combat se disperse rapidement en dehors du ring. Les deux hommes s’approchent ensuite dangereusement de l’estrade sur laquelle repose la table des commentateurs. Harley y éclate alors le crâne de Kerry contre l’un des piliers de l’armature métallique. Le front en sang, Kerry se retrouve désormais mené à la baguette par l’impitoyable vétéran. Le « Modern Day Warrior » a toutefois la lucidité de profiter d’une faille de son adversaire pour le projeter tête première contre le poteau. Le sang jaillit du front de Race et Kerry, de retour sur le ring, l’attrape en Sleeper Hold. Et quelle prise du sommeil ! Quelle incroyable image, que celle d’un Harley Race perdant connaissance dans les bras d’un Kerry Von Erich dont les bras finissent par être recouverts d’hémoglobine. Race s’en sort par miracle et lui porte son Piledriver, dont Kerry se dégage in-extremis. Harley décide alors, lui qui n’a pas pourtant pas l’habitude, de grimper sur les cordes. Il s’élance en Crossbody, mais Kerry l’enroule en petit paquet et l’immobilise pour le compte de trois, l’emportant à la surprise générale. La foule d’Irving explose, Kerry Von Erich vient de chercher, dans le sang et la sueur, le droit d’affronter le Champion Ric Flair. Et au terme de quel match, quel putain de match !
Seconde partie du Fritz Von Erich Retirement Spectacular, moins le combat du principal intéressé, que nous retrouverons sans doute plus tard, ce programme enregistré sur la pelouse du Texas Stadium comporte de la Lucha Libre, du catch féminin en avance sur son temps ainsi que l’un des plus grands matches de l’histoire de la World Class, rien que ça !
– Dans cette région marquée par une forte immigration mexicaine, apportant avec elle la culture de la Lucha Libre, il n’était pas rare, grâce à des accords entre promoteurs, que certains Luchadors, de la EMLL, de la UWA ou de la CMLL apparaissent sur les programmes de la WCCW. Le public présent ce soir à Irving eut l’occasion de découvrir des noms tels que El Solitario et Rene Guajardo, légendes de leur état, ainsi que le style de catch « Lucha Libre » encore assez inconnu à cette période, et pourtant si précurseur de ce que deviendra le catch professionnel dans les décennies à venir.
– Continuons sur cette lancée, mais accordons nos violons au féminin. Je le dis immédiatement, c’est à date et de très loin, le meilleur match de catch féminin que j’ai vu depuis le début de ces reviews. Avec des années – décennies – d’avance sur leur temps, mesdames Irma et Lola Gonzalez, elles aussi légendes sur leurs terres, ont rappelé que leur discipline, ce noble art du catch professionnel, n’est ni fait de crêpage de chignon, ni de combats dans la boue. Mesdames, vous faites partie de l’histoire du catch féminin.
– Il n’y avait qu’une seule issue possible. L’importance d’une telle victoire se devait d’être capitale dans l’esprit du jeune Kerry Von Erich, dont le potentiel semble sans limites. Bien aidé par un Harley Race stratosphérique et plus que généreux, Kerry a vaincu, non sans perdre quelques plumes au terme d’une guerre aussi barbare que grandiose. De par cette victoire, Kerry a d’ores et déjà pris sa place parmi les grands de cette époque. Seulement âgé de 22 ans, Kerry a cimenté son héritage de futur Champion du monde, dont le destin triomphant n’eut d’égal que le malheur qui touchera cette grande dynastie du catch nord-américain.
Nathan Maingneur