HIDDEN GEMS OF WRESTLING #1
NWA WORLD HEAVYWEIGHT
CHAMPIONSHIP MATCH
LOU THESZ © VS. BUDDY ROGERS
21/06/1950
À l’orée de la décennie 1950, l’ère des Territoires n’est encore qu’à ses balbutiements, ensuite progressivement institutionnalisée par la National Wrestling Alliance, conglomérat de promoteurs nord-américains fondé en 1948 sous l’impulsion de Sam Muchnick (1905-1998) organe directeur de l’industrie. Lou Thesz (1916-2002) est, depuis 1949, détenteur du championnat inter-promotionnel et inter-régional de la NWA, se déplaçant de territoire en territoire pour défendre son or. Au début des années 1950, un nom commence à se forger une réputation sulfureuse dans les territoires de l’Ohio et de St. Louis, dans le Mid-West. Chevelure blond platine et regard hautain, un valet l’accompagne même au ring. Celui qui se fera surnommer « Nature Boy » Buddy Rogers (1921-1992) suscite à l’image d’un Gorgeous George (1915-1963) l’irritation d’un public peu friand des manières dédaigneuses de ce personnage, préférant le catch plus brut et direct d’un Lou Thesz où d’un Édouard Carpentier (1926-2010). Deux ans auparavant, Lou Thesz remportait la ceinture de la National Wrestling Alliance, entamant un règne de près de six ans.
L’archive de ce match est une pellicule en 16 mm rendue publique par les Archives du Film de Chicago, dans la collection « Chicago Wrestling ». La rencontre s’est déroulée à Chicago dans l’Illinois. La location précise reste à déterminer. Une première hypothèse serait celle du Chicago International Theatre, précisée dans la description de l’archive. Or, une photographie d’un ticket d’entrée de l’événement où se déroulait ce match, ainsi qu’une publicité indiquent qu’il pourrait s’être tenu au Wrigley Field de Chicago qui pouvait accueillir jusqu’à 42 000 spectateurs. Je m’attendais à un long affrontement, techniquement imprégné de l’esprit « Shoot Wrestling » et « Catch Wrestling » relatif à ces époques. Pour tout dire, j’ai été surpris, agréablement surpris. Débriefing d’une expérience enrichissante.
Ce combat se tient sous les règles du 2 Out of 3 Falls, c’est à dire qu’il faut un minimum de deux tombés pour l’emporter. En cas d’égalité, une troisième manche décisive a lieu pour départager les deux catcheurs. Thesz porte la ceinture autour de ses hanches, marque de fierté hautement significative. Rogers se débarrasse d’un sublime gilet et d’une tenue pailletée, que seul un personnage de sa trempe peut se permettre d’afficher. La cloche sonne et le ton est donné par Rogers qui envoie un saut chassé au visage du Champion. La première phase est une série de contacts, certes plutôt figée, mais bien plus diverse et athlétique que je n’aurais pu l’imaginer. C’est une formidable exposition de ce qui se fait de mieux en terme d’athlétisme. La construction du match est intéressante, Rogers est ultra dominant face à un Thesz qui reste dans l’offensive, ne basculant toutefois jamais dans une attitude défensive, signe de sa fierté de porter l’or et de le défendre. Rogers affiche des techniques de triche brillantes et pourtant si simples. Envoyant des coups de poing fermés au visage de Thesz dans le dos de l’arbitre, Rogers impose sa marque. Une technique qui nous fait immédiatement penser à un certain Ric Flair (1949-…) qui n’a pas inventé son surnom de « Dirtiest Player in the Game ». L’intensité est palpable, Rogers et Thesz s’échangeant toute une série de « Locks » au sol. Au bout d’une manche d’un peu plus d’un quart d’heure, Rogers plante Thesz avec un Piledriver vicieux qui suffit pour un premier compte de trois. L’invention de cette dangereuse manœuvre est attribuée à Wild Bill Longson (1906-1982), catcheur du territoire de St. Louis. D’autres catcheurs ont contribué à populariser cette prise, c’est notamment le cas de Buddy Rogers. Peu ont utilisé cette prise en étant des babyfaces, l’objectif de cette manœuvre étant tout de même destiné à briser la nuque de son adversaire.
Après un court temps d’arrêt marqué par les compétiteurs (aujourd’hui, l’entre-deux manches d’un 2 Out of 3 Falls est couramment utilisé pour les publicités), la deuxième phase débute. Un tombé de plus permettrait à Rogers de s’arroger l’or de la NWA et le prestige qui s’ensuit. Pour Thesz, tout reste à faire, mais le natif de Banat, Michigan affirme une détermination à toute épreuve. Rogers est de nouveau dominant, continuant de s’acharner sur ce front, désormais ouvert à différents endroits suite à ses coups de poing fermés. Beaucoup plus courte, cette manche voit Thesz hisser Rogers en un Airplane Spin de toute beauté qui même à l’écran, nous fait tourner la tête. Le Champion égalise donc, un point partout. Un point sur les commentaires. L’unique commentateur est Russ Davis, annonceur atypique au style particulier et absolument intéressant à écouter, nous gratifiant d’un humour sarcastique.
Le prochain tombé sera décisif. La pression est à son comble, la stipulation jouant un rôle prépondérant dans la construction du combat. Désormais, tout est à jouer, il s’agit pour l’un de conserver son or et d’accrocher une victoire de plus à son tableau de chasse. Pour l’autre, il s’agit de capturer l’or le plus prestigieux de cette époque. L’avantage est donc pour Rogers. On abandonne le côté « Grappling » du début de rencontre pour s’adonner à un style plus direct, plus brutal. Les prises ont laissé place aux coups, le combat prend alors des airs de match de boxe. La foule est réceptive, habituée à ces grands combats de boxe de Sugar Ray Robinson (1921-1989) et Jake LaMotta (1922-2017) légendaires boxeurs du milieu du XXe siècle. Sur une projection, Thesz se retire in-extremis alors que Rogers fonce tête première et s’enroule dangereusement dans les cordes, presque pendu. Les règles n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui et Rogers est compté à l’extérieur, suffoquant entre les cordes, ensuite seulement relâché par l’arbitre.
Lou Thesz remporte donc cette éprouvante et intense défense de championnat. D’un point de vue historique, ce match mérite votre attention sur bien des points. Premièrement, c’est un moyen parfait de voir à quoi ressemblait un Main Event de catch, comportant l’enjeu le plus élevé de l’industrie. Il est intéressant de s’immerger dans l’ambiance des années 1950, à une période où le catch connaît un essor significatif. C’est également l’occasion de découvrir une certaine genèse des figures du babyface et du heel, représentés par différents comportements et actions. En dépit d’un côté parfois figé, ce combat est à mon humble opinion une véritable exhibition, nette et sans bavures de ce que deux maîtres du catch pouvaient possiblement offrir. C’est parfaitement crédible et parfois même un peu trop réaliste au point qu’on peut se demander si la frontière entre « work » et « shoot » a été franchie. Thesz est à cette époque la représentation idéalisée du « Wrestling Shooter » à ne pas confondre avec du « Shoot Wrestling » alors que Rogers s’émancipe de plus en plus comme un « showman » qui transpirait l’arrogance et le dédain. Je recommande ce match à n’importe qui désireux de se plonger dans la grande histoire du catch professionnel et d’être témoin de l’évolution de notre sport-spectacle favori.
Nathan Maingneur